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Polar médiéval au coeur de Tallinn

J’étais curieuse de lire L’Énigme de Saint-Olav parce que ce polar médiéval se déroule à Tallinn en Estonie et que j’ai visité sa vieille ville qui est au coeur du roman. Elle a d’ailleurs gardé tout son charme de l’époque avec son muret de pierre et des maisons qui datent du XIVe siècle et même d’avant.

Indrek Hargla est un prolifique auteur estonien, natif de cette ville. Sa biographie en parle comme d’un auteur de fantastique surtout, mais ce tout premier récit de la série Melchior, l’apothicaire est bel et bien un polar réaliste. Enfin, presque. Sans touche de fantastique mais fortement imprégné de légendes et d’histoire mêlée d’une imagerie médiévale classique. Si vous aimez cet univers mythifié, vous aurez un grand plaisir à vous y plonger. Ça se passe en 1409, alors que la vieille ville qu’on peut toujours visiter aujourd’hui était encore en plein développement. On y retrouve moines, chevaliers, poisons et secrets, et aussi un peu de la vie quotidienne des habitants du village.

Tallinn était une ville marchande, un point névralgique au bord de la Baltique, et elle a souvent été occupée. D’abord par les Danois et plus tard par les Russes. L’Estonie a fait partie de l’URSS jusqu’en 1991, mais sa langue est plus proche du finlandais, à ce qu’on dit. (Comme je m’y connais autant en estonien et en finlandais qu’en martien, je veux bien le croire!) Son centre historique, avec son enceinte fortifiée, fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco. C’est un réel plaisir de s’y promener et il n’y a pas de plus beau cadre pour y imaginer une aventure médiévale. Si vous voyagez dans ce coin-là, je vous conseille fortement de vous y arrêter. Bien sûr, c’est touristique, mais ça vaut quand même le détour.

On y trouve d’ailleurs de nombreux cafés et terrasses près de la place de l’Hôtel de Ville (et pas loin non plus de l’église Saint-Olav dont on parle dans le roman) et j’y ai très bien mangé dans un restaurant… médiéval (on est dans le thème ou on ne l’est pas), le Olde Hansa. Leur bière artisanale était aussi excellente. Pas du tout attrape-touriste.

enigme_de_saint_olav_indrek_hargla_150Melchior, ce futé mais tourmenté apothicaire, aidera donc son ami le bailli Dorn à élucider le meurtre scandaleux d’un membre décapité de l’Ordre des chevaliers teutoniques à Toompea (sur la colline qui domine la vieille ville de Tallinn et où l’Ordre a ses quartiers indépendants). Ce sera une enquête classique mais bien menée, à l’intrigue à la fois terrible et divertissante (eh oui) avec ses personnages colorés, ses concours de bière organisés par les moines et la guilde des Têtes-noires (qui a réellement existé), et qui nous fait voyager autant dans l’espace que sur la ligne de temps.

Jusqu’à présent, trois autres romans centrés sur les aventures de Melchior ont été traduits en français. Terviseks!

Un Télex de Cuba de Rachel Kushner envoûtant

Télex de Cuba, Rachel KushnerEntre 1952 et 1959, Cuba subit de grands bouleversements sociaux et politiques. Du coup d’État fomenté par Batista, à la solde des Américains, jusqu’à la Révolution de Castro, qui les chassera du territoire, l’île a vécu quelques années instables que nous raconte Rachel Kushner dans son Télex de Cuba. L’auteure multiplie les voix pour nous faire vivre ces années de l’intérieur. Comme si on y était, donc. Et c’est plutôt réussi.

Venue de son Tennessee natal, la jeune Everly débarque avec ses parents, d’abord à La Havane, puis à Preston et à Nicaro où son père dirigera une mine de nickel, alors que Batista vient de s’installer au pouvoir. On découvre l’île à travers ses yeux d’enfant, puis d’adolescente. Un regard curieux, ouvert, allumé. On s’attache tout de suite à cette personnalité hors du commun, sensible et déjà affirmée. Rachel Kushner s’est inspirée des souvenirs de ses grands-parents et de l’enfance de sa mère pour écrire ce roman. On devine que la petite Everly fait honneur à l’ombre maternelle.

En contre-chant, on suit aussi le fils d’un dirigeant de la production de canne à sucre, ainsi que plusieurs Américains venus chercher de meilleures conditions de vie à Cuba, mais qui vivent en autarcie dans leur petit monde de Blancs américains dans un système qui les favorisent au détriment des travailleurs locaux.

Et dans les choeurs, les voix d’un trafiquant d’armes français et d’une danseuse et putain cubaine, espionne pour Castro, viennent ponctuer le récit.

La plupart des personnages se croisent, mais parfois sans se connaître, ou alors si peu. Chacun de ces points de vue vient enrichir le portrait global de ces années cubaines.

C’est surtout l’univers des expatriés américains qu’on apprend à connaître, tout en prenant conscience du choc des cultures et des enjeux historiques et sociaux de la révolution cubaine. L’auteure passe par l’intime pour nous faire connaître un pan de la grande Histoire. On en ressort un peu plus savant et avec des parfums et des couleurs plein la tête qui donnent envie d’aller danser la salsa dans les Caraïbes, un daiquiri à la main. Un peu plus et on ressent, nous aussi, la nostalgie de ces années-là et le mal du pays.