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Musique au musée

L’un après l’autre, les musiciens se mettent en place. L’un après l’autre, les écrans s’allument.

Chacun dans son coin à lui, dans cette magnifique maison du 18e siècle. L’une dans son boudoir face à la fenêtre et au paysage de campagne (Kristín Anna Valtýsdóttir). L’autre dans sa bibliothèque. Un pianiste pivot (Kjaartan Sevinsson, ancien musicien de Sigur Ros) au milieu du grand salon, et l’artiste Ragnar dans son bain.

Ils sont huit musiciens en tout. Huit musiciens et un groupe de techniciens et amis sur un 9e écran qui attendent à l’extérieur au son des criquets.

Vous vous promenez d’un écran à l’autre pour assister à tout ce qui s’amorce et s’enchaîne, mais bien vite vous avez envie de vous installer dans un coin de la salle et de vous laisser porter par le spectacle. Car c’en est un. Pendant plus d’une heure, ils jouent ensemble une même pièce avec une mélodie-leitmotiv entrecoupée de phases doucement improvisées (même si tout est visiblement bien structuré). Pendant plus d’une heure, ils joignent leurs voix (voix humaine, violoncelle (Gyða Valtýsdóttir), piano, guitares, basse, batterie, accordéon, harmonica, banjo) sans jamais se perdre, toujours en harmonie, même si chacun vient y apporter ses propres variations.

Et vous vous laissez envahir par la douce mélodie quasi hypnotique. I fall into… Vous assistez à ce moment privilégié où chaque artiste est à la fois connecté à lui-même, son émotion, son instinct, et entièrement connecté aux autres et à la musique.

L’environnement, ce manoir lumineux au charme désuet, ajoute à l’impression d’être plongé un peu hors du temps.

Et bientôt tous se rassemblent et poursuivent joyeusement leur route pour se perdre dans l’horizon et l’infini de la musique.

Et derrière eux, les techniciens éteignent, un à un, les écrans.

The Visitors, Ragnar Kjartansson
MACM

L’univers est un livre, une expo en 360

La bibliothèque, la nuit (Robert Lepage, Alberto Manguel, BANQ)

La bibliothèque, la nuit (Robert Lepage, Alberto Manguel, BANQ)

Mon instinct m’a amené à choisir Alexandrie comme première escale. Je me suis retrouvée dans le cosmos, avec la voix d’Alberto Manguel comme guide, avant que les murs de l’ancienne bibliothèque d’Alexandrie, en Égypte, se dressent autour de moi, avec ses étagères de rouleaux de papyrus empilés les uns sur les autres. Et sous mes pieds, le vide. Incapable de baisser la tête sans que le vertige me poigne, je suis restée figée, agrippée à ma chaise, n’osant même pas pivoter pour regarder en arrière. Bravo pour ton instinct, Championne.

Il ne faut pas penser que l’exposition « La bibliothèque, la nuit », de Robert Lepage, est un feu roulant de sensations fortes. Ce n’est pas le cas. Juste un peu déstabilisante au début pour les natures impressionnables comme moi (surtout si vous choisissez le tableau le plus vertigineux pour commencer la visite). Mais l’expérience dans son ensemble est plutôt contemplative.

Après être entrés dans la reproduction (matérielle, cette fois!) d’une bibliothèque privée inspirée de celle de Manguel, on pénètre dans la pièce secrète où une série de tables en bois nous attendent au milieu des arbres. De l’écorce de bouleau parsème le sol, nous rappelant l’origine de l’écriture et de l’objet livre. Pourtant, aucun livre ne nous accueille dans cette pièce. Nous nous dirigeons au coeur de la modernité : le numérique, l’image virtuelle, la vision immersive en 360.

Bien assis sur nos chaises pivotantes, on enfile le casque (Gear VR) qui nous fera voyager. La technologie en est à ses premiers pas seulement (entre autres, l’image n’est pas toujours très claire), et, pour l’instant, il est impossible de se déplacer avec ce casque sur la tête. On nous spécifie de rester assis et on comprend pourquoi. Envahis par l’univers qu’on nous présente, on perd le contact visuel avec l’univers matériel qui nous entoure, incluant notre propre corps. Bien sûr, notre sens de l’orientation et notre équilibre en sont perturbés. On s’y habitue un peu au fil de l’expérience, mais notre cerveau demeure confondu.

Cette exposition de Robert Lepage, inspirée du livre « La bibliothèque, la nuit » d’Alberto Manguel et montée avec sa collaboration, est conçue pour souligner le 10e anniversaire de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ). Dix univers différents nous accueillent, dix bibliothèques qui sont en fait dix courts-métrages montés avec la technologie 360.

Pour chaque tableau, on se retrouve au milieu d’une pièce et, tout en écoutant la narration qui évoque à la fois le lieu, une époque, et notre rapport au livre, à la connaissance et à la culture, on prend le temps d’observer tout autour de nous. Dôme, sol, mur avant, arrière.

Comme une enfant émerveillée, je me laissais imprégner et mon esprit s’envolait souvent dans une rêverie qui ne laissait plus passer la parole du narrateur. Je n’ai donc pas tout entendu, mais les bribes que j’ai retenues ici et là m’accompagnaient avec bonheur et pertinence. Beaucoup de moments m’habitent encore.

Après Alexandrie, je me suis retrouvée à Sarajevo où pendant que la bibliothèque est bombardée, un violoncelliste continue de jouer, comme dans le Titanic. Une bibliothèque est la mémoire d’un peuple et, en temps de guerre, rien ne fait plus mal que cette tentative de destruction de la culture de l’assiégé. Après la mort et l’asservissement des habitants, on s’attaque à leur souvenir, tentant d’en éliminer la moindre trace.

La promenade se poursuit ainsi, du Japon à l’Autriche, en passant par la bibliothèque fictive du capitaine Nemo, création de Jules Verne, et dure tout près d’une heure. Pour ceux qui aiment les livres, qui aiment se retrouver dans des bibliothèques remplies de livres, c’est un très beau voyage que nous ont concocté Robert Lepage, Alberto Manguel et la BANQ.

Bibliothèque du temple Hasedera

Bibliothèque du temple Hasedera

Pour les autres, je dirais que le média lui-même vaut l’expérience. Si c’est votre première, vous serez interpelés par cette nouveauté (et tout ça pour un petit 5 $ si vous êtes abonnés à la BANQ). Cette technologie étonnante fera sûrement l’objet de plusieurs études dans le futur. Le cerveau humain est hautement adaptable, mais il est déjà difficile parfois de distinguer le réel de l’imaginaire. On mélange si souvent les faits et les croyances. On a tellement soif de transformer notre réalité si contraignante en un monde idéal tellement plus rassurant. Qu’est-ce que l’accès à de tels outils provoquera sur les cerveaux en croissance, ou en espérance? On se posait déjà la question avec les jeux vidéo et les univers virtuels à la « Second Life », mais ici, on franchit une autre étape.

Ça ne m’empêche pas d’être émerveillée devant les possibilités créatives que cette technologie propose, mais ces questions fascinantes d’adaptation du cerveau vont se poser.

Pour le moment, il s’agit aussi d’une expérience très individuelle, car on est autant coupés des autres que de notre environnement physique, mais j’imagine que des chercheurs clenchent déjà sur des façons de rendre l’expérience collective.

Avant de partir, en voyageuse virtuelle aguerrie, je suis retournée en Alexandrie. Toujours bien agrippée à ma chaise, j’ai pu cette fois en faire le tour, jusqu’à observer la planète derrière moi dans le cosmos, et à jeter plusieurs fois un oeil (bref!) au sol de la bibliothèque plusieurs mètres plus bas. Avant que tout disparaisse et que je traverse à nouveau du côté tangible de la force…

Les Aztèques au musée

Il est bon parfois de se rappeler qu’on n’a pas inventé le bouton à quatre trous. Je suis retournée voir l’exposition des Aztèques à Pointe-à-Callière qui nous plonge dans cet univers mexicain d’avant la conquête espagnole.

Templo Mayor

Bâti sur le site actuel de Mexico, le Templo Mayor est au coeur de la cité aztèque Tenochtitlan. Un musée archéologique s’élève actuellement au-dessus des ruines de ce temple et ils ont prêté une partie de leur collection au musée Pointe-à-Callière.  De nombreux objets d’art (sculptures, bijoux, poteries, masques) font partie de l’exposition. Certaines sculptures sont immenses et franchement impressionnantes.

Sacrifices

La mort est très présente dans leur culture et paraît un peu macabre à notre civilisation occidentale aseptisée, mais elle n’était rien d’autre qu’une facette complémentaire de la vie, comme le sont le yin et le yang chez les Orientaux. La nuit n’existe pas sans le jour, le soleil sans la pluie, la vie sans la mort.

Pour cette raison, les Aztèques pratiquaient le sacrifice humain quotidien. Pour beaucoup de sacrifiés, cette mort était enviable. Tant qu’à mourir de quequ’chose, se disaient-ils… Bon, moi, je préférerais passer mon tour, personnellement, mais pour eux, se faire arracher le coeur et le donner aux dieux, c’était permettre à la vie de suivre son cours, donner son sang pour repousser la fin du monde et vivre comblé pour l’éternité.

Ça a bien fonctionné jusqu’à l’arrivée des Espagnols.

Chinampas

Ce peuple était franchement ingénieux et la civilisation aztèque n’avait rien à envier aux peuples européens dans bien des domaines : éducation, ingénierie, agriculture, arts. Si leurs débuts à Tenochtlitlan, une île entourée d’un marais, ont été difficiles, ils se sont vite adaptés à leur environnement, construisant des temples et une ville entière sur pilotis, érigeant des digues et des canaux pour faire descendre l’eau des montagnes, et créant un système agraire très efficace. Les chinampas étaient des îlots artificiels construits à l’aide de pilotis et de fonds de roseaux tressés sur lesquels on plaçait des couches de sédiments des marais. Sur ce sol riche, on pouvait obtenir jusqu’à 7 récoltes de légumes, de maïs et de fleurs par année. Ce système existe toujours sur le site de Xochimilco mis en valeur et protégé par l’UNESCO.

Écriture

Les Aztèques possédaient leur propre système d’écriture, sous forme de pictogrammes et d’idéogrammes. Si beaucoup des codex (livres de cette époque) ont été détruits par les Espagnols, on en a retrouvé suffisamment pour pouvoir en apprendre davantage sur cette culture, ses moeurs et ses légendes. Plusieurs codex font partie de l’exposition.

Cortés

À l’arrivée des Espagnols, au XVIe siècle, la ville comptait environ 200 000 habitants, plus que la plupart des villes européennes de l’époque. Les Européens seront à la fois fascinés par la civilisation aztèque et horrifiés par certaines pratiques, mais surtout attirés par leur or. Malgré leur infériorité en nombre de soldats, les armées d’Hernan Cortés anéantiront la civilisation aztèque et détruiront Templo Mayor, aidées par leurs armes, par la petite vérole, les superstitions aztèques (qui craignaient la fin du 5e soleil et prenaient les Espagnols pour des dieux) et par les peuples conquis environnants, révoltés contre le pouvoir aztèque tout-puissant.