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Le 887, le 455 et l’enfance de la Révolution tranquille

« Je me souviens. » De quoi, donc? Notre mémoire collective est comme notre mémoire individuelle. Sélective et pleine de trous. Robert Lepage nous cause de cette faculté qui oublie. De souvenirs en réminiscences, 887, sa nouvelle pièce se veut un hommage touchant à son père et à toute une génération, celle d’avant la Révolution tranquille.

Difficile de ne pas se sentir interpellé par ce qu’il évoque, car cette histoire récente est celle de la majorité des francophones d’ici. Le 887 Murray de l’enfance de Robert Lepage ressemble d’ailleurs étrangement au 455 Boyer où j’ai passé une partie de la mienne.

887, rue Murray

887, rue Murray

455, rue Boyer

455, rue Boyer

En revisitant son enfance, il revient sur les origines de cette Révolution tranquille. Qu’est-ce qui l’a précédé? Quelles en sont les raisons? La montée du nationalisme était fondée sur un sentiment d’injustice et était motivée par des valeurs d’équité. Il était indissociable d’objectifs concrets comme l’accès à l’éducation pour tous, et pas seulement pour ceux qui pouvaient se la payer.

La majorité des Québécois sont issus de cette classe ouvrière. Sommes-nous en train de perdre ces valeurs dans le confort de l’indifférence que nous apporte l’élargissement de la classe moyenne? C’est une des questions soulevées dans 887.

Comme d’habitude, Robert Lepage sait utiliser la technologie à bon escient pour illustrer avec une certaine magie ses propos et en faire de beaux moments de théâtre. Pas besoin de moyens spectaculaires. Par exemple, un cellulaire, s’il représente à la fois la communication moderne et notre mémoire numérisée, devient aussi une caméra qui nous fait entrer à l’intérieur d’une maison de poupée, donnant l’impression de voir un film maison un peu bancal comme on en voyait dans les années 70.

La scénographie ingénieuse présente un module polyvalent qui devient tantôt une bibliothèque, tantôt une cuisine, tantôt l’immeuble d’habitation où logeaient les Lepage.

Plutôt cérébrale et très dense, la pièce m’a semblé la plus bavarde de toutes celles que j’ai vues de Robert Lepage, ce qui exige une plus grande concentration, et ce qui a pour conséquence de nous garder un peu en retrait, en position d’observateur attentif plutôt que d’être projeté sur scène au milieu de l’histoire. Mais vers la fin, l’émotion m’a gagné. J’ai été émue par cette interprétation vibrante de Speak White. Émue par cet hommage à un homme qui ressemble à tant de pères de cette époque: discret, peu communicatif, cachant ses émotions, mais travaillant de longues heures pour sa famille du mieux qu’il peut. Cet hommage est aussi celui de toute une génération qui a souhaité un meilleur avenir pour ses enfants. Est-ce que ces enfants et petits-enfants laisseront un meilleur avenir pour la génération suivante? On se le demande.

Les portes tournantes

Cette ligne de fin d’année s’est franchie comme à l’arrivée pour moi : en mettant un pied devant l’autre. Vous aussi, je parie. C’est encore ce que je compte faire pour chaque jour de l’année qui vient, alors pas de fla-fla, pas de résolutions rabat-joie, ni de promesses qui risqueraient de ne pas être tenues. Je vais faire mon possible, ce qui est déjà beaucoup, et tenter de sortir du bon côté des portes tournantes. Rien de plus détestable que de se rendre compte qu’on a tourné en rond. Je blague à demi, mais ne pas se laisser emporter dans le tourbillon de ces portes peut parfois être très sportif!

Les bilans 2013 ont abondé et je les suis toujours avec beaucoup de plaisir et un brin de complaisance (l’important, c’est d’y voir défiler nos têtes à claques). Pour ajouter ma touche personnelle à tous ces bye bye, voici donc dix points de rencontre culturels (mais pas drôles du tout, j’ai laissé l’humour pour un moment de l’autre côté des portes) où m’ont menée mes pas et qui ont chatouillé mes orteils. Dans le désordre.

1. Claude Robinson, qui n’a pas été suffisamment mis de l’avant dans les bilans de fin d’année. Il aurait dû être porté triomphalement sur le bouclier d’Abraracourcix. Mon oeil s’est attardé sur ce texte d’Yves Boisvert, et j’espère que ces clowns tristes perdront enfin panache, perruques et millions en 2014. Comment se fait-il qu’ils aient encore une chemise sur le dos?

2. Dany Laferrière. Si l’Académie française n’a pas une grande résonance dans nos coeurs de Québécois, on est quand même bien conscient que ce n’est pas un mince exploit d’y être admis. Et ça flatte un peu notre ego chauvin d’entendre l’écrivain donner de l’importance au Québec dans ses entrevues en France.

3. Unité 9. Assurément un des téléromans les plus réussis, et utiles, des dernières années, tous pays confondus.

4. Karine Vanasse dans Revenge. Cette série est mon péché mignon. J’aime suivre cette drama pour filles, savant mélange de suspense, d’action, de romances et de glamour, portée par des personnages féminins forts. Encore un peu de chauvinisme, mais comment ne pas sourire de l’apparition de cette actrice (qui en plus d’être des nôtres, est belle et brillante, a un naturel fou et a le culot d’être sympathique, n’en jetez plus, la cour est pleine), qui tient un rôle assez important dans la saison 3. Ça fait un p’tit velours. Nos artistes sont nos voisins ici, au Québec, alors quand le voisin voyage…

5. Mon nouveau Sony Reader avec rabat, qui remplace mon Kindle tristement obsolescent.

6. René Magritte, qui a clos mon année, au MOMA à New York. Un de mes peintres préférés, dont une grosse partie de ses oeuvres majeures sont rassemblées dans cette expo. J’ai donc pu admirer grandeur nature des tableaux comme La condition humaine, Le thérapeute et Les amants, un sourire en coin, car sous sa fascination (parfois morbide) pour l’inconscient, se cache aussi beaucoup d’humour. Vous pouvez l’attraper au MOMA jusqu’au 12 janvier, sinon, il faudra vous rendre à Houston ou à Chicago.

7. Broadchurch. Une des très bonnes séries policières que j’ai vues cette année. La meilleure, en fait, parce que je la regarderais avec plaisir de nouveau même si j’en connais la fin. Ça tient beaucoup aux paysages, aux personnages et à un rythme bien dosé, qui convient à l’ambiance de vents et de falaise sans rien alourdir. La version francophone sera diffusée à Radio-Canada (à partir du 28 février, je crois, mais je dis ça sous toute réserve).

8. Titi Robin et son passage au Festival de jazz de Montréal. Sa musique s’inspire de l’âme gitane et fait monter du sol une irrésistible fièvre qui se propage dans le corps en entier, de nos orteils à nos oreilles.

9. Sherlock Holmes vient d’entrer dans le domaine public. Ce personnage déjà légendaire appartient maintenant à tous. C’est quand même quelque chose quand un personnage fictif devient à ce point immortel.

10. L’Ermitage. En 2013, j’ai enfin mis les pieds dans ce lieu mythique. Impossible de tout voir de cet immense musée en une seule fois (il inclut 4 palais), mais c’est déjà un souvenir impérissable que d’avoir pu déambuler entre ces murs magnifiques, ancien antre de Catherine la Grande, dans un Saint-Pétersbourg dont l’architecture spectaculaire fait oublier la grisaille de sa température.

Ermitage vu de la Neva, Saint-Pétersbourg

Ermitage vu de la Neva, Saint-Pétersbourg, Photo Wikipedia

Musée L'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie, Juin 2013 © Julie Marcil

Musée L’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie, Juin 2013 © Julie Marcil

Je vous souhaite une année 2014 pleine de belles découvertes.