Archives de catégorie : Histoire

Marie, Fille du Roy

Les Filles du Roy arrivent en Nouvelle-France.

Les Filles du Roy arrivent en Nouvelle-France.

Marie n’a rien à perdre. C’est ce qu’elle s’est dit en s’embarquant sur le Prince-Maurice en juillet 1671 en direction de la Nouvelle-France. Orpheline de père et sans le sou, elle était condamnée à finir ses jours dans un couvent de bonnes soeurs.

Elles sont bien bonnes, les soeurs, d’avoir pris soin d’elles toutes, ses consoeurs et elle, mais Marie aspire à autre chose. Là-bas, elle sera libre, elle se fera une vie à elle, une famille à elle.

Elle a quand même peur. Elle laisse sa mère sur l’autre continent, et des frères et soeurs qu’elle ne reverra sans doute jamais. L’espoir est ailleurs, dans ce monde inconnu qui l’attend.

La traversée est difficile, la mer houleuse. Beaucoup de filles sont malades, et dans la crainte de voir sa vie s’achever ici, Marie doute par moments d’avoir pris la bonne décision. En même temps, avait-elle vraiment le choix? Qu’aurait-elle pu faire d’autre?

Si elle avait su ce qui l’attendait, elle aurait douté encore plus. Quand on part à l’aventure, mieux vaut ne pas penser aux épreuves qui nous attendent. Elle épouse un homme qu’elle connait à peine — aucune garantie sur son tempérament — et leurs affinités se limitent à l’effort de survie et à l’espoir d’un avenir meilleur.

Mariée à André en octobre, elle s’affaire avec lui à préparer leur nid, déboiser, solidifier l’abri, et surtout semer et rendre la terre accueillante pour les légumes et céréales dont ils ont besoin pour leur subsistance et celle de leurs enfants.

Fille de la ville, elle doit apprivoiser à la fois son homme et la vie rurale, où tout autour il n’y a que bois, terre, rivière, et quelques voisins à plusieurs miles à la ronde, sans compter les attaques possibles d’Iroquois. Et ce froid…

Marie fait partie des 764 Filles du Roy venues peupler la Nouvelle-France. Les Québécois, en grande majorité, ont au moins une Marie, une Jeanne, une Catherine, issue de cette grande migration, parmi leurs ancêtres. Sans elles, sans leur courage, nous ne serions pas ici.

Une association, la Société d’histoire des Filles du Roy, fondée en 2010 a d’ailleurs pour mission d’approfondir nos connaissances à leur sujet.

La beauté de la technologie est qu’il est de plus en plus facile d’accéder aux actes civils numérisés et ainsi, de remonter le cours de notre arbre généalogique, particulièrement au Québec où ils ont été bien conservés.

Vous pouvez entre autres remonter le temps avec Ancestry.ca qui vient d’acquérir de nouveaux actes notariés de la Bibliothèque et archives nationales du Québec (BANQ), son partenaire.

Vous pouvez également consulter, et ce gratuitement, des banques de données auxquelles tous contribuent, comme Mes Ancêtres. Attention, toutefois… Assurez-vous que les sources sont fiables car des erreurs peuvent facilement se glisser.

Pour commencer votre recherche, il suffit d’entrer le nom de vos arrière-grands-parents, paternels ou maternels, et vous avez de grosses chances de voir apparaitre l’acte de mariage où est inscrit le lieu et l’année de leur mariage, mais également le nom des parents des mariés. Et ainsi, d’acte en acte, vous pourrez remonter aux sources.

Tous ces premiers arrivants ont influencé fortement notre propre parcours, pas tant par leurs gènes que par leur culture, leur façon de voir la vie et de s’y adapter. Ils et elles sont une grande part de notre identité.

Le 887, le 455 et l’enfance de la Révolution tranquille

« Je me souviens. » De quoi, donc? Notre mémoire collective est comme notre mémoire individuelle. Sélective et pleine de trous. Robert Lepage nous cause de cette faculté qui oublie. De souvenirs en réminiscences, 887, sa nouvelle pièce se veut un hommage touchant à son père et à toute une génération, celle d’avant la Révolution tranquille.

Difficile de ne pas se sentir interpellé par ce qu’il évoque, car cette histoire récente est celle de la majorité des francophones d’ici. Le 887 Murray de l’enfance de Robert Lepage ressemble d’ailleurs étrangement au 455 Boyer où j’ai passé une partie de la mienne.

887, rue Murray

887, rue Murray

455, rue Boyer

455, rue Boyer

En revisitant son enfance, il revient sur les origines de cette Révolution tranquille. Qu’est-ce qui l’a précédé? Quelles en sont les raisons? La montée du nationalisme était fondée sur un sentiment d’injustice et était motivée par des valeurs d’équité. Il était indissociable d’objectifs concrets comme l’accès à l’éducation pour tous, et pas seulement pour ceux qui pouvaient se la payer.

La majorité des Québécois sont issus de cette classe ouvrière. Sommes-nous en train de perdre ces valeurs dans le confort de l’indifférence que nous apporte l’élargissement de la classe moyenne? C’est une des questions soulevées dans 887.

Comme d’habitude, Robert Lepage sait utiliser la technologie à bon escient pour illustrer avec une certaine magie ses propos et en faire de beaux moments de théâtre. Pas besoin de moyens spectaculaires. Par exemple, un cellulaire, s’il représente à la fois la communication moderne et notre mémoire numérisée, devient aussi une caméra qui nous fait entrer à l’intérieur d’une maison de poupée, donnant l’impression de voir un film maison un peu bancal comme on en voyait dans les années 70.

La scénographie ingénieuse présente un module polyvalent qui devient tantôt une bibliothèque, tantôt une cuisine, tantôt l’immeuble d’habitation où logeaient les Lepage.

Plutôt cérébrale et très dense, la pièce m’a semblé la plus bavarde de toutes celles que j’ai vues de Robert Lepage, ce qui exige une plus grande concentration, et ce qui a pour conséquence de nous garder un peu en retrait, en position d’observateur attentif plutôt que d’être projeté sur scène au milieu de l’histoire. Mais vers la fin, l’émotion m’a gagné. J’ai été émue par cette interprétation vibrante de Speak White. Émue par cet hommage à un homme qui ressemble à tant de pères de cette époque: discret, peu communicatif, cachant ses émotions, mais travaillant de longues heures pour sa famille du mieux qu’il peut. Cet hommage est aussi celui de toute une génération qui a souhaité un meilleur avenir pour ses enfants. Est-ce que ces enfants et petits-enfants laisseront un meilleur avenir pour la génération suivante? On se le demande.

À la recherche du Royaume

CC MatthiasKabel Wikimedia

CC MatthiasKabel Wikimedia

Qu’est-ce que c’est, ce fameux Royaume tant promis dans la chrétienté? C’est à cette question que tente de répondre le récit d’Emmanuel Carrère, même si, de bonne réponse, il n’y en a sûrement pas qu’une seule. Mais c’est cette quête historico-philosophique qui guide la plume de l’auteur à travers cette brique de plus de 600 pages, melting-pot d’éléments biographiques, d’analyse théologique et de fiction.

Drôle d’objet, donc, que ce Royaume. Ai-je aimé? En fin de compte, oui. Mais, pas tout. Et j’ai eu besoin de beaucoup de persévérance.

Le Royaume Emmanuel Carrère

Le Royaume, Emmanuel Carrère

Je me serais passée des 142 premières pages, qui m’ont fait bâiller. Il y est question de l’auteur, de sa conversion temporaire au christianisme (ça a duré trois ans, je crois — depuis, il est redevenu athée, ou du moins agnostique), de sa vie à l’époque et de sa démarche. Aucun intérêt pour moi. Si j’ai poursuivi la lecture, c’est uniquement parce que le sujet me rendait très curieuse et parce qu’Emmanuel Carrère est un écrivain que j’aime beaucoup.

À partir de la page 143, on entre enfin dans le vif du sujet, l’histoire des débuts du christianisme, et ça devient plus accrocheur. Cette histoire, il nous la raconte en axant sur le personnage de Paul, mais aussi sur celui de Luc, un des quatre évangélistes du Nouveau Testament. On y croise aussi d’autres personnages historiques, mais qui deviennent ici des figures secondaires, dont le frère de Jésus et d’anciens disciples, le plus souvent en conflit avec le fameux Paul. Tout ça, sur fond d’Histoire, car Emmanuel Carrère met tout en contexte. Il s’avère que ces temps étaient politiquement très troublés et, franchement, les dictateurs et terroristes de l’époque n’avaient rien à envier à la nôtre en terme de cruauté. Par moments, c’est la terreur avec un grand T.

Il y est question des Sicaires, ces radicaux juifs qui tuaient d’un coup de poignard au milieu de la foule des Romains et leurs sympathisants, et de la rébellion juive contre les Romains qui s’est terminée par le siège de Jérusalem en 70 et la destruction du Temple. L’auteur évoque aussi le massacre des chrétiens par Néron après l’incendie de Rome en 64.

Très documenté, Emmanuel Carrère se base sur une analyse rigoureuse de tous les textes existants, que ce soit ceux de la Bible ou ceux d’historiens ou d’analystes. Toutefois, on ne peut pas qualifier ça d’essai ou de biographie, car en bon romancier, il comble les trous avec ses interprétations (mais prend bien soin de nous en aviser). Il imagine ce qu’a pu être le caractère des personnages et comment a pu se dérouler l’histoire, spéculant sur ce qui est probablement vrai… ou pas.

Notre civilisation est tellement imprégnée de christianisme que cette démarche donne un éclairage pertinent sur ce qui anime notre culture et, surtout, sur sa bougie d’allumage. Ça demeure le récit assez extraordinaire d’un homme hors du commun (bien que difficile à cerner avec justesse) et d’une poignée de ses disciples sans le sou, persécutés et sans grande crédibilité auprès de la masse… dont le mouvement, simple secte au départ, a fini par influencer toute la civilisation occidentale.

Si le mystère demeure à la fin du livre (malgré des pistes possibles), j’ai tout de même été touchée par cette quête d’Emmanuel Carrère et par l’enseignement qu’il tente d’en tirer. J’ai appris beaucoup de détails historiques, j’ai été horrifiée par certains événements, j’ai souri devant certaines histoires invraisemblables, mais j’ai aussi réfléchi et médité sur la profondeur et la complexité de toute cette quête de sens qui relie (et divise!) l’humanité.

Polar médiéval au coeur de Tallinn

J’étais curieuse de lire L’Énigme de Saint-Olav parce que ce polar médiéval se déroule à Tallinn en Estonie et que j’ai visité sa vieille ville qui est au coeur du roman. Elle a d’ailleurs gardé tout son charme de l’époque avec son muret de pierre et des maisons qui datent du XIVe siècle et même d’avant.

Indrek Hargla est un prolifique auteur estonien, natif de cette ville. Sa biographie en parle comme d’un auteur de fantastique surtout, mais ce tout premier récit de la série Melchior, l’apothicaire est bel et bien un polar réaliste. Enfin, presque. Sans touche de fantastique mais fortement imprégné de légendes et d’histoire mêlée d’une imagerie médiévale classique. Si vous aimez cet univers mythifié, vous aurez un grand plaisir à vous y plonger. Ça se passe en 1409, alors que la vieille ville qu’on peut toujours visiter aujourd’hui était encore en plein développement. On y retrouve moines, chevaliers, poisons et secrets, et aussi un peu de la vie quotidienne des habitants du village.

Tallinn était une ville marchande, un point névralgique au bord de la Baltique, et elle a souvent été occupée. D’abord par les Danois et plus tard par les Russes. L’Estonie a fait partie de l’URSS jusqu’en 1991, mais sa langue est plus proche du finlandais, à ce qu’on dit. (Comme je m’y connais autant en estonien et en finlandais qu’en martien, je veux bien le croire!) Son centre historique, avec son enceinte fortifiée, fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco. C’est un réel plaisir de s’y promener et il n’y a pas de plus beau cadre pour y imaginer une aventure médiévale. Si vous voyagez dans ce coin-là, je vous conseille fortement de vous y arrêter. Bien sûr, c’est touristique, mais ça vaut quand même le détour.

On y trouve d’ailleurs de nombreux cafés et terrasses près de la place de l’Hôtel de Ville (et pas loin non plus de l’église Saint-Olav dont on parle dans le roman) et j’y ai très bien mangé dans un restaurant… médiéval (on est dans le thème ou on ne l’est pas), le Olde Hansa. Leur bière artisanale était aussi excellente. Pas du tout attrape-touriste.

enigme_de_saint_olav_indrek_hargla_150Melchior, ce futé mais tourmenté apothicaire, aidera donc son ami le bailli Dorn à élucider le meurtre scandaleux d’un membre décapité de l’Ordre des chevaliers teutoniques à Toompea (sur la colline qui domine la vieille ville de Tallinn et où l’Ordre a ses quartiers indépendants). Ce sera une enquête classique mais bien menée, à l’intrigue à la fois terrible et divertissante (eh oui) avec ses personnages colorés, ses concours de bière organisés par les moines et la guilde des Têtes-noires (qui a réellement existé), et qui nous fait voyager autant dans l’espace que sur la ligne de temps.

Jusqu’à présent, trois autres romans centrés sur les aventures de Melchior ont été traduits en français. Terviseks!

L’univers est un livre, une expo en 360

La bibliothèque, la nuit (Robert Lepage, Alberto Manguel, BANQ)

La bibliothèque, la nuit (Robert Lepage, Alberto Manguel, BANQ)

Mon instinct m’a amené à choisir Alexandrie comme première escale. Je me suis retrouvée dans le cosmos, avec la voix d’Alberto Manguel comme guide, avant que les murs de l’ancienne bibliothèque d’Alexandrie, en Égypte, se dressent autour de moi, avec ses étagères de rouleaux de papyrus empilés les uns sur les autres. Et sous mes pieds, le vide. Incapable de baisser la tête sans que le vertige me poigne, je suis restée figée, agrippée à ma chaise, n’osant même pas pivoter pour regarder en arrière. Bravo pour ton instinct, Championne.

Il ne faut pas penser que l’exposition « La bibliothèque, la nuit », de Robert Lepage, est un feu roulant de sensations fortes. Ce n’est pas le cas. Juste un peu déstabilisante au début pour les natures impressionnables comme moi (surtout si vous choisissez le tableau le plus vertigineux pour commencer la visite). Mais l’expérience dans son ensemble est plutôt contemplative.

Après être entrés dans la reproduction (matérielle, cette fois!) d’une bibliothèque privée inspirée de celle de Manguel, on pénètre dans la pièce secrète où une série de tables en bois nous attendent au milieu des arbres. De l’écorce de bouleau parsème le sol, nous rappelant l’origine de l’écriture et de l’objet livre. Pourtant, aucun livre ne nous accueille dans cette pièce. Nous nous dirigeons au coeur de la modernité : le numérique, l’image virtuelle, la vision immersive en 360.

Bien assis sur nos chaises pivotantes, on enfile le casque (Gear VR) qui nous fera voyager. La technologie en est à ses premiers pas seulement (entre autres, l’image n’est pas toujours très claire), et, pour l’instant, il est impossible de se déplacer avec ce casque sur la tête. On nous spécifie de rester assis et on comprend pourquoi. Envahis par l’univers qu’on nous présente, on perd le contact visuel avec l’univers matériel qui nous entoure, incluant notre propre corps. Bien sûr, notre sens de l’orientation et notre équilibre en sont perturbés. On s’y habitue un peu au fil de l’expérience, mais notre cerveau demeure confondu.

Cette exposition de Robert Lepage, inspirée du livre « La bibliothèque, la nuit » d’Alberto Manguel et montée avec sa collaboration, est conçue pour souligner le 10e anniversaire de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ). Dix univers différents nous accueillent, dix bibliothèques qui sont en fait dix courts-métrages montés avec la technologie 360.

Pour chaque tableau, on se retrouve au milieu d’une pièce et, tout en écoutant la narration qui évoque à la fois le lieu, une époque, et notre rapport au livre, à la connaissance et à la culture, on prend le temps d’observer tout autour de nous. Dôme, sol, mur avant, arrière.

Comme une enfant émerveillée, je me laissais imprégner et mon esprit s’envolait souvent dans une rêverie qui ne laissait plus passer la parole du narrateur. Je n’ai donc pas tout entendu, mais les bribes que j’ai retenues ici et là m’accompagnaient avec bonheur et pertinence. Beaucoup de moments m’habitent encore.

Après Alexandrie, je me suis retrouvée à Sarajevo où pendant que la bibliothèque est bombardée, un violoncelliste continue de jouer, comme dans le Titanic. Une bibliothèque est la mémoire d’un peuple et, en temps de guerre, rien ne fait plus mal que cette tentative de destruction de la culture de l’assiégé. Après la mort et l’asservissement des habitants, on s’attaque à leur souvenir, tentant d’en éliminer la moindre trace.

La promenade se poursuit ainsi, du Japon à l’Autriche, en passant par la bibliothèque fictive du capitaine Nemo, création de Jules Verne, et dure tout près d’une heure. Pour ceux qui aiment les livres, qui aiment se retrouver dans des bibliothèques remplies de livres, c’est un très beau voyage que nous ont concocté Robert Lepage, Alberto Manguel et la BANQ.

Bibliothèque du temple Hasedera

Bibliothèque du temple Hasedera

Pour les autres, je dirais que le média lui-même vaut l’expérience. Si c’est votre première, vous serez interpelés par cette nouveauté (et tout ça pour un petit 5 $ si vous êtes abonnés à la BANQ). Cette technologie étonnante fera sûrement l’objet de plusieurs études dans le futur. Le cerveau humain est hautement adaptable, mais il est déjà difficile parfois de distinguer le réel de l’imaginaire. On mélange si souvent les faits et les croyances. On a tellement soif de transformer notre réalité si contraignante en un monde idéal tellement plus rassurant. Qu’est-ce que l’accès à de tels outils provoquera sur les cerveaux en croissance, ou en espérance? On se posait déjà la question avec les jeux vidéo et les univers virtuels à la « Second Life », mais ici, on franchit une autre étape.

Ça ne m’empêche pas d’être émerveillée devant les possibilités créatives que cette technologie propose, mais ces questions fascinantes d’adaptation du cerveau vont se poser.

Pour le moment, il s’agit aussi d’une expérience très individuelle, car on est autant coupés des autres que de notre environnement physique, mais j’imagine que des chercheurs clenchent déjà sur des façons de rendre l’expérience collective.

Avant de partir, en voyageuse virtuelle aguerrie, je suis retournée en Alexandrie. Toujours bien agrippée à ma chaise, j’ai pu cette fois en faire le tour, jusqu’à observer la planète derrière moi dans le cosmos, et à jeter plusieurs fois un oeil (bref!) au sol de la bibliothèque plusieurs mètres plus bas. Avant que tout disparaisse et que je traverse à nouveau du côté tangible de la force…

Les Aztèques au musée

Il est bon parfois de se rappeler qu’on n’a pas inventé le bouton à quatre trous. Je suis retournée voir l’exposition des Aztèques à Pointe-à-Callière qui nous plonge dans cet univers mexicain d’avant la conquête espagnole.

Templo Mayor

Bâti sur le site actuel de Mexico, le Templo Mayor est au coeur de la cité aztèque Tenochtitlan. Un musée archéologique s’élève actuellement au-dessus des ruines de ce temple et ils ont prêté une partie de leur collection au musée Pointe-à-Callière.  De nombreux objets d’art (sculptures, bijoux, poteries, masques) font partie de l’exposition. Certaines sculptures sont immenses et franchement impressionnantes.

Sacrifices

La mort est très présente dans leur culture et paraît un peu macabre à notre civilisation occidentale aseptisée, mais elle n’était rien d’autre qu’une facette complémentaire de la vie, comme le sont le yin et le yang chez les Orientaux. La nuit n’existe pas sans le jour, le soleil sans la pluie, la vie sans la mort.

Pour cette raison, les Aztèques pratiquaient le sacrifice humain quotidien. Pour beaucoup de sacrifiés, cette mort était enviable. Tant qu’à mourir de quequ’chose, se disaient-ils… Bon, moi, je préférerais passer mon tour, personnellement, mais pour eux, se faire arracher le coeur et le donner aux dieux, c’était permettre à la vie de suivre son cours, donner son sang pour repousser la fin du monde et vivre comblé pour l’éternité.

Ça a bien fonctionné jusqu’à l’arrivée des Espagnols.

Chinampas

Ce peuple était franchement ingénieux et la civilisation aztèque n’avait rien à envier aux peuples européens dans bien des domaines : éducation, ingénierie, agriculture, arts. Si leurs débuts à Tenochtlitlan, une île entourée d’un marais, ont été difficiles, ils se sont vite adaptés à leur environnement, construisant des temples et une ville entière sur pilotis, érigeant des digues et des canaux pour faire descendre l’eau des montagnes, et créant un système agraire très efficace. Les chinampas étaient des îlots artificiels construits à l’aide de pilotis et de fonds de roseaux tressés sur lesquels on plaçait des couches de sédiments des marais. Sur ce sol riche, on pouvait obtenir jusqu’à 7 récoltes de légumes, de maïs et de fleurs par année. Ce système existe toujours sur le site de Xochimilco mis en valeur et protégé par l’UNESCO.

Écriture

Les Aztèques possédaient leur propre système d’écriture, sous forme de pictogrammes et d’idéogrammes. Si beaucoup des codex (livres de cette époque) ont été détruits par les Espagnols, on en a retrouvé suffisamment pour pouvoir en apprendre davantage sur cette culture, ses moeurs et ses légendes. Plusieurs codex font partie de l’exposition.

Cortés

À l’arrivée des Espagnols, au XVIe siècle, la ville comptait environ 200 000 habitants, plus que la plupart des villes européennes de l’époque. Les Européens seront à la fois fascinés par la civilisation aztèque et horrifiés par certaines pratiques, mais surtout attirés par leur or. Malgré leur infériorité en nombre de soldats, les armées d’Hernan Cortés anéantiront la civilisation aztèque et détruiront Templo Mayor, aidées par leurs armes, par la petite vérole, les superstitions aztèques (qui craignaient la fin du 5e soleil et prenaient les Espagnols pour des dieux) et par les peuples conquis environnants, révoltés contre le pouvoir aztèque tout-puissant.

Un Télex de Cuba de Rachel Kushner envoûtant

Télex de Cuba, Rachel KushnerEntre 1952 et 1959, Cuba subit de grands bouleversements sociaux et politiques. Du coup d’État fomenté par Batista, à la solde des Américains, jusqu’à la Révolution de Castro, qui les chassera du territoire, l’île a vécu quelques années instables que nous raconte Rachel Kushner dans son Télex de Cuba. L’auteure multiplie les voix pour nous faire vivre ces années de l’intérieur. Comme si on y était, donc. Et c’est plutôt réussi.

Venue de son Tennessee natal, la jeune Everly débarque avec ses parents, d’abord à La Havane, puis à Preston et à Nicaro où son père dirigera une mine de nickel, alors que Batista vient de s’installer au pouvoir. On découvre l’île à travers ses yeux d’enfant, puis d’adolescente. Un regard curieux, ouvert, allumé. On s’attache tout de suite à cette personnalité hors du commun, sensible et déjà affirmée. Rachel Kushner s’est inspirée des souvenirs de ses grands-parents et de l’enfance de sa mère pour écrire ce roman. On devine que la petite Everly fait honneur à l’ombre maternelle.

En contre-chant, on suit aussi le fils d’un dirigeant de la production de canne à sucre, ainsi que plusieurs Américains venus chercher de meilleures conditions de vie à Cuba, mais qui vivent en autarcie dans leur petit monde de Blancs américains dans un système qui les favorisent au détriment des travailleurs locaux.

Et dans les choeurs, les voix d’un trafiquant d’armes français et d’une danseuse et putain cubaine, espionne pour Castro, viennent ponctuer le récit.

La plupart des personnages se croisent, mais parfois sans se connaître, ou alors si peu. Chacun de ces points de vue vient enrichir le portrait global de ces années cubaines.

C’est surtout l’univers des expatriés américains qu’on apprend à connaître, tout en prenant conscience du choc des cultures et des enjeux historiques et sociaux de la révolution cubaine. L’auteure passe par l’intime pour nous faire connaître un pan de la grande Histoire. On en ressort un peu plus savant et avec des parfums et des couleurs plein la tête qui donnent envie d’aller danser la salsa dans les Caraïbes, un daiquiri à la main. Un peu plus et on ressent, nous aussi, la nostalgie de ces années-là et le mal du pays.

Les portes tournantes

Cette ligne de fin d’année s’est franchie comme à l’arrivée pour moi : en mettant un pied devant l’autre. Vous aussi, je parie. C’est encore ce que je compte faire pour chaque jour de l’année qui vient, alors pas de fla-fla, pas de résolutions rabat-joie, ni de promesses qui risqueraient de ne pas être tenues. Je vais faire mon possible, ce qui est déjà beaucoup, et tenter de sortir du bon côté des portes tournantes. Rien de plus détestable que de se rendre compte qu’on a tourné en rond. Je blague à demi, mais ne pas se laisser emporter dans le tourbillon de ces portes peut parfois être très sportif!

Les bilans 2013 ont abondé et je les suis toujours avec beaucoup de plaisir et un brin de complaisance (l’important, c’est d’y voir défiler nos têtes à claques). Pour ajouter ma touche personnelle à tous ces bye bye, voici donc dix points de rencontre culturels (mais pas drôles du tout, j’ai laissé l’humour pour un moment de l’autre côté des portes) où m’ont menée mes pas et qui ont chatouillé mes orteils. Dans le désordre.

1. Claude Robinson, qui n’a pas été suffisamment mis de l’avant dans les bilans de fin d’année. Il aurait dû être porté triomphalement sur le bouclier d’Abraracourcix. Mon oeil s’est attardé sur ce texte d’Yves Boisvert, et j’espère que ces clowns tristes perdront enfin panache, perruques et millions en 2014. Comment se fait-il qu’ils aient encore une chemise sur le dos?

2. Dany Laferrière. Si l’Académie française n’a pas une grande résonance dans nos coeurs de Québécois, on est quand même bien conscient que ce n’est pas un mince exploit d’y être admis. Et ça flatte un peu notre ego chauvin d’entendre l’écrivain donner de l’importance au Québec dans ses entrevues en France.

3. Unité 9. Assurément un des téléromans les plus réussis, et utiles, des dernières années, tous pays confondus.

4. Karine Vanasse dans Revenge. Cette série est mon péché mignon. J’aime suivre cette drama pour filles, savant mélange de suspense, d’action, de romances et de glamour, portée par des personnages féminins forts. Encore un peu de chauvinisme, mais comment ne pas sourire de l’apparition de cette actrice (qui en plus d’être des nôtres, est belle et brillante, a un naturel fou et a le culot d’être sympathique, n’en jetez plus, la cour est pleine), qui tient un rôle assez important dans la saison 3. Ça fait un p’tit velours. Nos artistes sont nos voisins ici, au Québec, alors quand le voisin voyage…

5. Mon nouveau Sony Reader avec rabat, qui remplace mon Kindle tristement obsolescent.

6. René Magritte, qui a clos mon année, au MOMA à New York. Un de mes peintres préférés, dont une grosse partie de ses oeuvres majeures sont rassemblées dans cette expo. J’ai donc pu admirer grandeur nature des tableaux comme La condition humaine, Le thérapeute et Les amants, un sourire en coin, car sous sa fascination (parfois morbide) pour l’inconscient, se cache aussi beaucoup d’humour. Vous pouvez l’attraper au MOMA jusqu’au 12 janvier, sinon, il faudra vous rendre à Houston ou à Chicago.

7. Broadchurch. Une des très bonnes séries policières que j’ai vues cette année. La meilleure, en fait, parce que je la regarderais avec plaisir de nouveau même si j’en connais la fin. Ça tient beaucoup aux paysages, aux personnages et à un rythme bien dosé, qui convient à l’ambiance de vents et de falaise sans rien alourdir. La version francophone sera diffusée à Radio-Canada (à partir du 28 février, je crois, mais je dis ça sous toute réserve).

8. Titi Robin et son passage au Festival de jazz de Montréal. Sa musique s’inspire de l’âme gitane et fait monter du sol une irrésistible fièvre qui se propage dans le corps en entier, de nos orteils à nos oreilles.

9. Sherlock Holmes vient d’entrer dans le domaine public. Ce personnage déjà légendaire appartient maintenant à tous. C’est quand même quelque chose quand un personnage fictif devient à ce point immortel.

10. L’Ermitage. En 2013, j’ai enfin mis les pieds dans ce lieu mythique. Impossible de tout voir de cet immense musée en une seule fois (il inclut 4 palais), mais c’est déjà un souvenir impérissable que d’avoir pu déambuler entre ces murs magnifiques, ancien antre de Catherine la Grande, dans un Saint-Pétersbourg dont l’architecture spectaculaire fait oublier la grisaille de sa température.

Ermitage vu de la Neva, Saint-Pétersbourg

Ermitage vu de la Neva, Saint-Pétersbourg, Photo Wikipedia

Musée L'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie, Juin 2013 © Julie Marcil

Musée L’Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie, Juin 2013 © Julie Marcil

Je vous souhaite une année 2014 pleine de belles découvertes.

Si les murs pouvaient parler

Si les murs pouvaient parler… Quels mondes fantastiques s’ouvriraient à nous! Imaginez tous ces secrets d’alcôve dévoilés, au grand bonheur des potineux et écornifleurs (que nous sommes tous un peu, admettons-le). Pensez à tous ces crimes non résolus qui trouveraient soudain leur coupable. Et quoi d’autre encore…

Brodie, village fantôme du Far West

Brodie, village fantôme du Far West

J’attends avec impatience l’invention de cet engin qui captera ondes et chromatiques emmagasinées dans la pierre et le bois des maisons, pour en recréer les images et sons de l’Histoire. Est-ce qu’on y trouverait réponses à nos questions? Est-ce qu’on se reconnaîtrait dans tous ces gens passés avant nous? Est-ce qu’on arriverait à les comprendre?

C’est peut-être un mal pour un bien que ces cloisons demeurent closes. On a beau dire que la réalité dépasse souvent la fiction, les faits crus décevraient peut-être les espoirs créés par notre esprit créatif. Mais n’empêche… Ça fait rêver, non?

C’est l’auteure Ariane Gélinas qui m’a remise sur cette piste récemment. J’ai toujours été attirée par les villages abandonnés et les champs de fouille archéologique. Je me suis promenée avec bonheur (et avec une curiosité insatiable) dans les dédales des ruines de Deir-El-Medineh, ce village d’artisans-prêtres de l’Égypte pharaonique, et je rêve de mettre un jour les pieds à Pompei, mais j’ignorais qu’il existait autant de villages disparus ici même au Québec.

C’est à la fois terrifiant et fascinant de savoir que, même ici au Québec, tout un village peut disparaître en poussière en un rien de temps et je suis sensible à ce qu’ont pu vivre ces gens. Toutefois, ce n’est pas tellement l’appel de la catastrophe qui m’intéresse dans ces villages fantômes, ou ce qu’il en reste, mais tout simplement la trace qu’ils laissent. Ils sont comme des témoins de temps révolus mais non moins vivants.

La petite fille en moi imagine avec émerveillement, et un certain sens du recueillement, que le mur qu’elle touche a été érigé par des gens qui sont passés par là quelques décennies avant elle et que cette pierre ou cette brique est un lien ténu vers eux et leurs histoires.

Et mon petit doigt me dit que je ne suis pas la seule… D’ailleurs, tout un pan du tourisme est basé là-dessus.

Gary Lawrence, sur son blogue de L’Actualité en a relevé quelques-uns l’an dernier. Il existe aussi des répertoires de lieux abandonnés pour ce qu’on appelle les explorateurs urbains.

Et vous? En êtes-vous un? Est-ce que ça vous inspire pour l’une de vos prochaines destinations vacances?

Pour explorer le village de Deir-El-Medineh: